Des caractéristiques intrinsèques à l'immobilier expliquent un retard dans sa digitalisation

De façon générale, trois caractéristiques propres à l’immobilier expliquent un relatif retard dans sa digitalisation : 

• L’immobilier est inscrit dans un temps long : une fois qu’il est construit il est là pour des décennies ; ce n’est pas le temps du digital, et cela crée un décalage entre les cycles d’évolution.

• C’est un marché fragmenté : le plus gros acteur fait 20 000 logements par an. On n’est pas dans un domaine où les évolutions se font par quelques acteurs dominants, comme cela peut être le cas dans la téléphonie mobile ou les GAFA. Même des acteurs comme VINCI ou BOUYGUES, qui sont des leaders à l’échelle mondiale en matière de construction, restent relativement petits. Cette fragmentation est un grand frein à la scalabilité et à l’accélération.

• Enfin, c’est un métier local : les questions sont souvent les mêmes, mais les réponses sont foncièrement différentes et locales, qu’il s’agisse des autorisations, des réglementations et des outils qui relèvent des autorités publiques nationales, et qui s’inscrivent dans des référentiels locaux.

Perspectives de digitalisation sur les 4 niveaux de transformation / disruption

Au niveau 1 de l’optimisation des processus, les besoins existent, mais il y a une profusion d’offres, qui sont trop morcelées et qui ne couvrent qu’une part minime des besoins ce qui limite considérablement leur intérêt. Si on regarde ensuite les différents stades de la chaîne de valeur :

• Au niveau de la conception et de la construction, on parle du BIM depuis plus de 10 ans, mais il n’a pas encore rempli sa promesse : on arrive à avoir de belles maquettes, mais dès le passage aux étapes concrètes on refait des plans de synthèse ; il n’y a pas encore d’enchaînement fluide entre les différentes étapes ; on observe les mêmes difficultés avec la GTB, qu’on a encore du mal à exploiter pleinement

• En aval, sur le métier Property Manager ou syndic, ce sont des métiers à très faible marges, qui devraient naturellement être intéressés par optimiser leurs couts en s’appropriant de nouveaux outils, mais qui restent encore très « manuels ».

Par ailleurs, deux facteurs agissent comme des accélérateurs :

• Les obligations réglementaires, qui représentent un driver d’adoption : par exemple la solution Deepki, permet de suivre les consommations énergétiques et qui est très ergonomique

• Le besoin d’optimisation, accéléré par la pandémie, qui a conduit à adopter des usages importés dans le métier (signature électronique, visioconférence), qui sont très utiles mais qui ne sont pas dédiés au secteur

 

Au niveau 2, sur la transformation des interfaces

on a été précurseurs. Dans la Branche Commercialisation, on a voulu utiliser la vidéo pour montrer en 3D des immeubles qui n’étaient pas encore construits. C’est resté limité, à cause du coût que représentait ce type de réalisation. Ce type d’approche va exploser avec le développement de la réalité virtuelle, et l’abaissement du coût et du délai de réalisation par les effets de productivité. Est-ce que pour autant ça va tuer le rapport physique dans l’immobilier ? Ce n’est pas certain, car ces solutions ne restituent pas la perception de l’environnement, l’ambiance sonore, … qui peuvent être « fake » dans un produit virtuel.

Au niveau 3, sur la transformation des Business Models

On peut penser aux engagements de performance. Il y a une demande côté client, mais une certaine réticence du côté des property manager. Dans le coût de maintenance, il y a des éléments qui échappent à la maitrise des opérateurs. 

On peut avoir des bases de connaissances, en mettant en œuvre des abaques et des solutions de big data, pour être en mesure de prendre des engagements. Mais dans la vraie vie, on n’aura jamais la maitrise sur le comportement de l’utilisateur, et de fait on ne peut pas optimiser l’usage dans les bâtiments. Ce qu’on appelle parfois l’industrie immobilière est en fait du cousu main et de l’artisanat.

On peut aussi penser à la fin du bail 3/6/9, par rapport à des locataires qui veulent plus de flexibilité, mais cela semble très peu probable, quand bien même certains promoteurs y ont beaucoup réfléchi.

Avant le Covid, dans l’hôtellerie, l’émergence de Airbnb a fait bouger les lignes, mais ça n’a pas tué les hôtels. Ça a provoqué des repositionnements, la mort de certains acteurs mais également le développement d’autres. Les outils de digitalisation permettant de louer « à la place » semblent avoir un avenir, mais ne vont pas faire basculer le marché. La résistance viendra du fait qu’il faut mobiliser des capitaux importants sur un temps long : on ne va pas mettre 100M€ sur la table pour avoir une occupation à la journée ou au mois.

Au niveau 4, sur la disruption forte

l‘industrialisation de la construction, il y aurait là un vrai alignement d’intérêts : augmenter les marges des constructeurs, en baissant la pollution et la main d’œuvre sur site (meilleure gestion hors site). Ça fonctionne pour des immeubles, ou pour des maisons individuelles. Avec d’autres acteurs, on est en réflexion sur des programmes à -30%. C’est une tendance qui, comme la construction bois, est beaucoup plus récente. La construction bois moderne est partie d’une page blanche il y a 15 ans, avec des concepts et des process qui sont très différents de ceux de la construction en béton d’il y a quelques décennies

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