Reprise des chantiers : comment l'envisager dans les meilleures conditions ?

reprise des chantiers BTP
Interview de Roland Le Roux – Président de Citae & MBAcity
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Une reprise des chantiers après deux mois d’arrêt quasi-complet causé par la COVID-19

La reprise des chantiers va nécessiter la mise en application de certaines mesures visant à sécuriser les entreprises et leurs salariés.

Dans cet article, nous interrogeons Roland Le Roux, président de Citae (Cabinet de conseil spécialiste de la ville et du bâtiment durable) et de MBAcity (spécialiste du BIM en France et à l’international). Roland Le Roux agit au quotidien pour accélérer la transformation de l’industrie de l’immobilier et du BTP, avec comme objectif de rendre les ouvrages plus confortables, plus abordables et plus respectueux des hommes et de la planète. Aujourd’hui, il nous livre son ressenti sur l’impact de cette crise sanitaire mondiale qui a sonné l’arrêt des chantiers en France, depuis presque deux mois. 

Nous reviendrons sur les conséquences à prévoir, tant du point de vue des utilisateurs de biens finaux que de celui des acteurs de la construction (Maitrises d’Ouvrage, Maitrises d’Œuvre et autres Entreprises du BTP). Cette situation inédite d’arrêt quasi-complet des chantiers pose de vraies questions sur le plan économique, social et environnemental. Quelles sont les solutions envisageables pour faciliter cette reprise des chantiers dans les meilleures conditions ?

Reprise des chantiers : un impact social fort à prendre en compte

Face à cette situation de confinement, des difficultés émergent pour les utilisateurs de biens. Beaucoup de foyers se retrouvent dans une situation de précarité, le plus souvent à cause des défauts existants dans leurs logements. Ces derniers sont d’autant plus accentués en cette période de confinement où l’on vit en permanence dans son habitation.

Tout cela créé inévitablement des tensions. On s’aperçoit que les logements n’ont pas toujours été bien pensés pour les usagers. A ce sujet, nous avons réalisé un questionnaire qui souligne les deux caractéristiques qui impactent le plus les utilisateurs de biens.

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Le confinement a mis en évidence les défauts de logements qui n'ont pas été suffisamment bien pensé pour les usagers.

Nous avons constaté que la luminosité naturelle du logement apparaît comme critère prioritaire à prendre en considération, tandis que le confort acoustique se place comme deuxième critère le plus important pour le bien être des occupants. Quand on vit 23h/24 dans son logement, sans lumière naturelle, cela joue sur le bien-être des habitants, avec un impact psychologique important. Même chose pour l’acoustique, si l’appartement n’est pas suffisamment insonorisé et laisse franchir les bruits du voisinage ou des différents usagers présents au sein du logement, le bien-être des occupants est affecté.

Aujourd’hui, le confinement causé par la COVID-19 a donc un impact social fort. L’arrêt des chantiers soulève plusieurs problématiques. En France, seulement 13% des chantiers sont en activité (en comptabilisant ceux qui n’ont jamais arrêté et ceux qui ont récemment repris).

Reprise des chantiers : des problématiques pour les utilisateurs de biens finaux

Aujourd’hui, il est nécessaire que l’utilisateur final soit au cœur des préoccupations dès la phase de conception du bien. En effet, certains paramètres sont à prendre en compte avant le commencement des travaux pour garantir la satisfaction des acquéreurs de bien(s) et leur offrir un meilleur confort de vie dans leur habitat. Pour beaucoup d’usagers, la situation de confinement n’aura que des répercussions limitées sur leur quotidien. Cependant, dans d’autres cas, la situation peut provoquer d’importantes complications. On pourrait citer deux catégories d’utilisateur qui vont connaître des difficultés avec l’arrêt des travaux.

#1 Les usagers dont le bien est en cours de rénovation

Les personnes dont le logement est en cours de rénovation vont sans doute connaître plus de difficultés. En effet, l’intervention de l’entreprise de travaux sur site occupé peut-être très problématique si les travaux consistent en un changement de façade, par exemple. Avec la présence des usagers, la promiscuité sera alors décuplée. On constatera une double difficulté : celle pour l’utilisateur final de vivre dans son logement et celle pour la société en charge des travaux de reprendre le travail dans de bonnes conditions, malgré la présence des usagers sur le lieu des travaux.

#2 Les usagers en cours d’achat d’un bien immobilier

Ensuite, nous avons le cas où la personne était en cours d’achat ou dans l’attente d’un achat d’un bien immobilier. Cela peut même être le cas de foncières ou d’autres typologies d’acheteur. Si l’acquéreur de bien doit arriver prochainement dans le logement, disons le 1er juillet, les travaux auront pris du retard et la personne ne pourra pas investir les lieux à la date prévue.La maitrise d’ouvrage aura, de son côté, quelques craintes pour savoir qui va payer les coûts supplémentaires. Si la personne a prépayé son logement, ce ne sera pas problématique mais si l’achat est en cours, on peut se poser des questions sur l’impact en termes de délais mais aussi de coûts supplémentaires à prévoir.

L’arrêt des chantiers : de lourds dégâts sur le plan économique à prévoir

#1 Un changement des process pour répondre aux nouvelles normes sécuritaires

Dans la grande majorité des cas, les chantiers sont arrêtés depuis le 17 mars, en France. Les constructeurs ont déjà pris 7 semaines de retard, ce qui n’est pas anodin. Imaginons que l’ensemble des chantiers reprennent dans les  prochaines semaines, cette reprise ne va pas se faire sans encombre ni perte de productivité importante. Etant donné les mesures sanitaires à mettre en œuvre sur les chantiers, les parties prenantes ne vont pas pouvoir être aussi efficaces et rapides qu’avant confinement.

Les acteurs du chantier vont devoir composer avec un certain nombre d’aménagements d’horaires pour limiter le nombre d’acteurs sur le chantier. Les entreprises devront répondre aux nouvelles normes sécuritaires et aux règles édictées par l’OPPBTP. Cette accumulation de retard couplée à cette baisse de performance prévisible va forcément venir ternir les résultats sur les chantiers avec des délais rallongés et des coûts réhaussés.

#2 Des dégâts financiers importants à réattribuer

Il n’est pas simple d’estimer les dégâts financiers que cette crise va causer pour les acteurs du BTP. Nous sommes encore dans une période de floue où chaque acteur se demande qui va bien pouvoir payer les surcoûts… Des répercussions sont à prévoir sur l’ensemble de la chaîne de valeur, en passant des MOA au MOE, aux entreprises et par moment jusqu’aux utilisateurs finaux. Une question se pose et fait sérieusement grincer les dents : « Qui va prendre en charge ces coûts supplémentaires ? ».

Comment effectuer cette reprise dans les meilleures conditions ?

#1 Estimer le montant des surcoûts pour le répartir équitablement entre les acteurs

Aujourd’hui, les acteurs des chantiers font face à un dilemme. D’un côté, ils souhaitent que les travaux reprennent au plus vite pour répondre au défi économique. De l’autre, ils ont la crainte de devoir constater une baisse de productivité inédite et une rentabilité mise à mal par ces deux mois d’arrêt. Selon moi, la meilleure solution consisterait à organiser une phase de concertation pour les acteurs du chantier afin de mesurer l’importance de ces surcoûts. Est-ce que l’on parle de 1% de coût en plus ou de 10%, voire de 20% ? Cette question doit être éclaircie pour avoir une meilleure visibilité des solutions à envisager. Il est intéressant de noter qu’une entreprise de travaux compte une marge moyenne située entre 2 et 3%, généralement. Ainsi, si un surcoût de 1% pourrait être absorbé et étalé sur l’année, un surcoût de 10% serait beaucoup plus difficile à encaisser, d’autant plus chez les petites entreprises de construction dont la trésorerie est limitée. Elles seront, selon moi, les premiers à subir le contre-coup de cet arrêt car elles n’ont que très peu de marge pour s’adapter à cette hausse des coûts à venir. Certains seront peut-être forcés de mettre la clé sous la porte. Aussi, je crois qu’il faut faire montre de solidarité pour que chacun prenne ses responsabilités. Ce qui est paradoxal, c’est que cette crise n’a pas d’unique responsable mais touche tout le monde, sans exception. L’important sera d’opter pour la solution la moins pénible en minimisant les risques pour les entreprises et les particuliers.

#2 Des hypothèses plausibles pour répartir les surcoûts

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La reprise des chantiers ne doit pas se transformer en guerre des tranchées juridiques. Cela freinerait la remise en route des acteurs.

Concernant les solutions, plusieurs hypothèses sont possibles. Le surcoût pourrait être réparti sur la base d’un rapport au prorata des EPT (Etablissements Publics Territoriaux), ou sur le nombre de chantiers, ou sur le volume de contrats ou même sur la marge estimée… Il faudrait, dans l’idéal, que la charge soit absorbée de la manière le plus équitable possible, tout en prenant en compte la précarité des petites entreprises qui sont les plus vulnérables face à cette augmentation des coûts.

#3 Ne pas céder le pouvoir aux organismes juridiques

Nous faisons face à un risque que cette situation ne se résolve qu’à coup de recours juridiques. La fausse bonne idée serait d’utiliser des contrats qui ont été définis légitimement sur le plan juridique, avant la COVID, sans prendre en compte une crise sanitaire de niveau mondiale. Dans ce cas, la situation risquerait d’être bloquée pendant un certain temps. Certains chantiers pourraient ne pas reprendre leur activité à causes de blocages dûs à d’éventuels contentieux. Selon moi, il est important que les usagers, les chefs d’entreprise et les décisionnaires actuels gardent le contrôle des échanges pour régler la situation et ne laissent pas les juristes s’en emparer. Dans le cas contraire, cela aurait un impact économique néfaste et tout le monde en fera les frais.

#4 Miser sur l’intelligence collective et sur la confiance entre les acteurs du BTP

Il faudrait que les acteurs du BTP misent sur l’intelligence collective et la solidarité pour régler la situation dans les meilleures circonstances. Je pense que certains pays vont très vite reprendre l’activité sur les chantiers. En Allemagne, 80 à 85% des chantiers sont, d’ores et déjà, ouverts tandis que nous sommes en France aux alentours de 20%. Aux Etats-Unis, malgré le nombre conséquent de victimes de la COVID-19, la plupart des chantiers sont restés ouverts. Il n’y a pas eu de confinement total comme c’est le cas en France depuis le 17 mars. L’arrêt a été beaucoup plus nuancé. A New York, le nombre d’arrêts est important mais ce n’est pas le cas de villes comme San Francisco, Houston, à Dallas ou Washington DC. Nous ne sommes pas du tout dans les mêmes proportions qu’en France à ce niveau-là. En France, de même qu’en Espagne ou en Italie, nous sommes sur une centralisation décisionnelle plus importante et une généralisation des arrêts de chantiers beaucoup plus forte.

Comment biodiversité et urbanisme peuvent-ils être compatibles ?

Sur le plan écologique, cette crise reflète assez bien les failles du système actuel. Il est probable que cette épidémie mondiale trouve sa cause dans les espèces animales importées ou dans les habitats naturels endommagés par l’homme. Je pense que les causes profondes de cette épidémie prennent, avant tout, racine sur la perte de biodiversité et sur un urbanisme croissant qui rogne sur les terres naturelles. Cela génère davantage de promiscuité et augmente le risque de propagation de certaines maladies. Ce genre d’épidémie est certainement dû à l’atteinte de la biodiversité par l’homme.

biodiversité et urbanisme
Faire cohabiter biodiversité et urbanisme représente l'un des défis marjeurs à relever pour les acteurs du BTP.

C’est un constat qui ressort de cette crise et qui vient remettre l’aspect environnemental au premier plan. Autre constat depuis le confinement, l’arrêt massif des activités a permis de réduire les émissions de CO2. On se rend compte que les efforts que requiert ce défi environnemental est juste énorme. Il ne s’agit pas seulement de fermer quelques robinets d’eau ou d’éteindre la lumière de la salle à manger mais bien d’efforts considérables pour revoir drastiquement notre façon de construire et d’exploiter nos bâtiments. Il reste un long chemin à parcourir pour espérer atteindre ces objectifs fixés. La prise de conscience doit être mondiale et l’enjeu est de parvenir à préserver et maintenir cette biodiversité, malgré l’urbanisation.

Roland Le Roux

Roland Le Roux

Président Citae & MBAcity

Roland Le Roux souhaite associer expertise et numérique sur les marchés porteurs de la construction et de la rénovation durable, de l’Assistance à Maîtrise d’Usage, du BIM et de la gestion de patrimoine.

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