Le Smart Hôpital pour optimiser la gestion des patients
- 23 juin 2020
- par Cyril Perrin
Le Smart Hôpital pour gérer les flux de patients
WIZZCAD : Bonjour Arnaud, vous avez réalisé une étude, avec 3 de vos confrères, sur le Smart Hospital et plus précisément sur la gestion des flux de patientèle ?
Arnaud : Oui, plus spécifiquement, cela résulte de l’association de deux compétences. De mon côté, je suis principalement spécialisé dans le domaine des établissements de santé et je collabore avec Julien Collin qui est un confrère spécialisé dans le domaine technologique. Nous avons commencé à travailler ensemble il y a de cela plusieurs semaines. En effet, lors de nos interventions respectives, j’avais senti qu’il y avait un sujet à traiter sur la gestion des espaces, des flux de patients et de la connaissance du matériel de manière générale. Le projet a mûri et nous nous sommes mis à travailler ensemble avec comme objectif de savoir comment les initiatives du secteur privé (et d’autres secteurs connexes) pouvaient venir enrichir les établissements de santé. Nous voulions mieux comprendre comment ces initiatives pouvaient contribuer à améliorer la prise en charge des patients, la qualité des soins et leur bien-être.
Comment les nouvelles technologies améliorent le bien-être des patients et la cohésion au sein d’un hôpital ?
Pour répondre à cette question, il faut prendre en considération qu’il existe plusieurs niveaux de bien-être qui vont dépendre du patient concerné. En fait, certains seront transférés dans différents établissements de santé. Dans ce cas précis, les nouvelles technologies vont plutôt permettre de mieux organiser les salles d’attente, les urgences et les autres consultations. Cela dépendra alors de l’hôpital et les nouvelles technologies permettront de faciliter l’aiguillage d’un patient, son parcours et de mieux communiquer les informations qui lui sont associées. Je prends l’exemple du Centre Hospitalier du Mans qui est assez tentaculaire avec plusieurs bâtiments et rien que l’aiguillage, l’information du patient est déjà un point décisif. Les nouvelles technologies peuvent réellement aider à mieux orienter les patients vers les bons espaces.
Et concernant les autres usages possibles ?
Et ensuite, nous avons des usages un peu plus « pointus » où nous allons avoir la qualité des soins et le bien-être du patient qui vont être impactés. Par exemple, des études ont constaté que les jeux de lumière pouvaient faciliter la cicatrisation de certains tissus après des interventions. Je pense notamment à l’intervention des yeux. En effet, le fait de jouer sur la lumière par le biais de capteurs intelligents dans la chambre du patient permettrait de moduler l’éclairage, de faciliter la guérison et de réduire le temps passé à l’hôpital. C’est un exemple pour un cas très spécifique. Ce sont des études en cours de validation. La généralisation n’est pas encore à l’ordre du jour mais des soignants et chercheurs se sont aperçus que l’environnement dans la chambre d’un patient peut contribuer à réduire son temps de guérison.
Il s'agit d'améliorer l'efficacité de la médecine ?
Quel est votre rôle au sein des établissements de santé ?
J’interviens sur la création de parcours de patients diabétiques ou en insuffisance cardiaque par un travail sur le lien ville / hôpital, bien plus large que le seul établissement hospitalier. Cette notion de parcours, d’échange de données occupe une place prépondérante autour des politiques de santé (cf. politique santé 2022) où le parcours patient est vraiment le point central. Le parcours patient va se retrouver au niveau de l’hôpital tout d’abord, mais aussi au niveau des villes et également concernant la liaison ville – hôpital. Cet aspect m’intéresse beaucoup, je l’ai vu en mission d’autant plus que ma femme est médecin (de ville) et intervient dans le cadre du Covid-19. J’ai ainsi pu l’aider à adapter les parcours patients pour éviter que les patients touchés par la Covid ne côtoient des patients non-contaminés. En prenant en compte tous ces éléments-là, cela me parait essentiel car derrière le parcours patient, on parle d’échange de données, de partage de données médicales et paramédicales. Cela englobe le social et le médico-social dans son sens le plus large.
Derrière le parcours patient, nous avons la conviction que pour bien soigner un patient, il n’y a pas uniquement le médical mais tout ce qu’il y a autour et les professionnels doivent communiquer entre eux.
Arnaud Have - Sia Partner
Les médecins ont-ils accès aux données fournies par les différents corps médicaux ?
C’est la cible. Actuellement, dans le système de santé, les différents acteurs fonctionnent encore beaucoup en silot. En effet, chaque hôpital disposait de son propre système d’information et de son propre modèle de données. Cela commence à évoluer depuis la réforme de la loi de santé de 2016.
Il existe désormais quelques regroupements d’hôpitaux qui s’associent et collaborent à travers un certain nombre d’outils. Ils peuvent ainsi communiquer avec l’hôpital d’à côté mais cela ne va pas plus loin pour le moment et c’est encore plus difficile de communiquer avec les services de ville. Globalement, cela reste encore très hétérogène en termes de partage des données sur le plan de la santé. C’est pour cela qu’en France, nous avons encore beaucoup de mal à sortir des données fiables et précises sur les EHPAD. En effet, les personnes concernées ne disposaient pas de suffisamment de données sur les établissements. Pour obtenir des chiffres concrets, il a fallu consolider des données au niveau national, ce qui a pris un mois, voire un mois-et demi à collecter.
Peut-on dire qu'il existe une difficulté à synchroniser les données sur les EHPAD et à les centraliser pour que le patient bénéficie des meilleurs soins ?
Oui, il faudrait faciliter l’échange de données entre professionnels qui n’appartiennent pas forcément à un seul hôpital. Ils peuvent appartenir à la médecine de ville ou pourquoi pas à une clinique. Le vrai sujet, c’est comment est-ce que l’on décloisonne les données et que l’on donne accès aux personnes qui sont à réhabiliter, dans un cercle plus large que le simple hôpital.
Comment facilite-t-on la liaison entre la ville et l’établissement médical ?
Il y a déjà quelques expérimentations qui ont déjà été mis en place. Les centres hospitaliers souhaitent notamment développer des filières spécifiques pour certains patients. Typiquement, si un patient âgé ou atteint d’une pathologie voit un médecin traitant ou un médecin de ville, s’il doit ensuite faire une visite chez un spécialiste à l’hôpital d’à côté, l’enjeu pour le médecin traitant est que son patient ne soit pas mis en contact en salle d’attente et n’attende pas aux urgences car il aura alors plus de risque d’être contaminé par un virus, d’être exposé à d’autres germes. Au contraire, s’il pouvait passer directement à une filière spécialisée, celui-ci pourrait attendre moins longtemps aux urgences qui se désengorgeraient et le patient pourrait sortir de l’hôpital en ayant limité tout contact avec d’autres flux de patients. Cette procédure limite les risques mais il faut, pour cela, une coordination très forte entre le médecin traitant et l’hôpital. Les différents spécialistes de l’hôpital pourront dire qu’ils ont tel patient à traiter en urgence et mieux prioriser les cas. On est vraiment sur un cas de gestion d’espace qu’il est important de cultiver.
S'agit-il vraiment de l'optimisation du flux de patientèle ?
Oui, l’objectif visé est de mieux cibler les patients, en fonction des pathologies détectées pour qu’ils n’aient pas à attendre plusieurs heures en salle d’attente. Cela permettrait de leur offrir le parcours le mieux adapté et sécurisé. Aujourd’hui, cela commence doucement à se développer mais ce n’est pas encore généralisé.
Comment gérer un établissement hospitalier en optimisant la gestion des espaces ?
Ce sont des espaces que l’on ne peut pas trop moduler car d’usage strict. Quand on va parler de ces espaces-là, il va avoir un enjeu de visibilité, notamment concernant les informations liées aux salles opératoires disponibles. Il s’agirait de savoir quel équipement est présent à l’intérieur et pour quels usages. En revanche, lorsque l’on va parler de scénarios pour réallouer certains espaces, on va mettre de côté les salles opératoires. En effet, ce sont vraiment des espaces à part, dédiés et difficiles à réaménager selon les usages.
Cela passe t-il par une meilleure connaissance des données qui circulent ?
Oui, le matériel est couramment réparti entre les services mais leur utilisation et leur disponibilité restent floues. On a des gros matériaux qui ne bougent pas d’un iota mais le sujet est de parvenir à maitriser leur obsolescence et leur disponibilité. Il faudrait également optimiser l’utilisation des matériaux plus légers qui sont utilisés par différents services en fonction des besoins.
On constate régulièrement des échanges entre les services. Un gain d’efficacité est à trouver pour mieux localiser le matériel léger, pour s’assurer de sa disponibilité et de son état dans la durée. Cela permettrait de localiser son emplacement à un instant « T », de façon dynamique.
Avez-vous des exemples de technologie ou de solutions qui permettent de maitriser la performance des bâtiments et des technologies comme le BIM ?
Je prêche sur la partie usage, sur quels types d’usage a-t-on besoin dans les hôpitaux. Sur la partie IoT, on peut citer toutes les technologies type capteurs sur des équipements comme les scanners. Il n’y aura pas de déploiement de capteurs sur les petits matériaux car cela couterait trop cher par rapport au retour sur investissement. Il faut prouver que ces coûts sont amortis rapidement. Pour des matériaux plus importants comme le scanner, cela se prouve facilement.
Pour qu’un hôpital soit totalement intelligent, il faudrait qu’il sorte de terre comme cela a été le cas avec celui de Wuhan qui a été conçu de A à Z avec les capteurs et nouvelles technologies. Celui-ci a été complètement pensé pour soigner les personnes atteintes du covid-19. Pour le moment, la digitalisation des hôpitaux ne se déclinent que sur certaines ailes du bâtiment qui sont alors rénovées. Cela permet d’apporter à l’Hôpital une dimension digitale pour le transformer peu à peu en Smart Hospital (hôpital connecté). Nous sommes encore loin de le faire sur l’ensemble du bâtiment.
Au Centre Hospitalier de Montpellier par exemple, l’établissement a choisi de se concentrer sur un parcours spécifique pour améliorer la prise en charge des patients. D’autres établissements ont mis en place des moyens pour améliorer les urgences et les transformer. Cela peut être de refondre des espaces pour que les patients soient mieux orientés, voient leurs parcours facilités et puisse éviter les encombrements.
Que pensez-vous de l’organisation des centres hospitaliers ?
Au sein même d’un territoire, on a des fractures qui sont plus ou moins importantes. Au niveau national, vous avez notamment le ministère de la santé, les organismes dirigeants et des agences nationales. Au niveau du territoire, les organismes de santé, les centres hospitaliers, les centres santé et la médecine de ville, bref une pléthore d’acteurs…
Le lien entre les différents acteurs n’est toujours très solide. Du point de vue personnel, avec ma femme, nous avons commencé à nous occuper du centre de santé d’Argenteuil où tous les cabinets aux alentours ont plus ou moins fermés. Les Centres de santé deviennent la principale alternative à l’hôpital. Imaginez un professionnel de santé qui a son quotidien à gérer et reçoit toutes les semaines entre 60 et 70 pages à lire. Il finira par avoir un trop plein d’informations. Il ne peut pas tout gérer comme il faudrait car des tâches redondantes viennent se rajouter à son quotidien.
Quelles solutions suggéreriez-vous pour fonctionner différemment ?
Des modules e-learning sont capables de fournir de l’information de façon plus efficace mais pour croiser différents modes de données et d’informations, les listes de documents exhaustifs ne sont plus vraiment adaptées. Il faudrait digitaliser les nouvelles préconisations et rendre plus facilement accessible les bonnes pratiques. Ce serait une bonne solution car aujourd’hui, il y a beaucoup de travail du territoire pour mettre en place un certain nombre d’initiatives en place. Je prends le cas de l’Hôpital d’Argenteuil qui s’est très vite organisé avec l’hôpital le plus proche pour savoir comment gérer les complications post-Covid. On a observé une belle coordination entre la ville et l’hôpital mais au niveau local, territorial. Il n’y a eu aucune action de faite sur le plan national. Nous pouvons prendre l’exemple d’un EHPAD dans le sud de la France. Ils ont réussi à bien gérer leur patientèle car ils ont mis en place une coordination très forte avec le centre de santé et d’autres professionnels. Cette collaboration s’est avérée fructueuse et a permis de mettre en place des mesures concrètes pour limiter les dégâts face au contexte épidémique. Ils ont fait en sorte que les médecins aient la possibilité de se déplacer à domicile en attendant que l’épidémie soit passée pour limiter les risques de contamination et de minimiser le nombre de personnes infectées. Bien sûr, il fallait que le domicile soit adapté mais cette stratégie s’est révélée payante.
Ici, c’est la coordination qui a permis de « limiter la casse » dans l’EHPAD avec l’aide du territoire, le centre de santé, la maison de santé, les services d’aide à domicile et les services de soins infirmiers à domicile. Beaucoup d’acteurs différents ont contribué à la prise en charge globale du patient car l’hôpital a bien collaboré avec les autres acteurs. Un écosystème s’est créé sur le territoire pour répondre de façon efficace aux demandes.
Un grand nombre de médecins libéraux et de généralistes ont réussi à équilibrer leur temps entre les hôpitaux et la médecine de ville et cela a été le point clé. Cela dénote un besoin de mieux collaborer entre les différents métiers et les experts pour trouver des solutions pertinentes et efficaces.
Il s’agit de repenser les espaces de vie qui ne sont, bien souvent, plus adaptés aux normes sécuritaires actuelles. Ainsi, des médecins ont littéralement « fui » les hôpitaux à cause de problèmes de sécurité, dû à l’insalubrité des locaux ou à un surnombre de patients accentuée par l’épidémie du Covid-19. Il convient de faire de la refonte des espaces une priorité pour garantir la sécurité des patients comme du personnel hospitalier.
Ces scénarii de flux de patients, comment faites-vous pour les mettre en place et à qui s’adressent-t-ils ?
Pour concevoir et mettre en place des scénarii au sein des hôpitaux, cela va dépendre du périmètre concerné. Il va y avoir plusieurs paramètres qui vont rentrer en ligne de compte. Cela va venir répondre à un contexte exceptionnel, à une situation d’urgence par exemple. Typiquement, pour prendre en charge un nombre important de patients, il faut répondre sur un délai court, face à un flux important de patients. C’est par une fine connaissance de son patrimoine que nous allons pouvoir modéliser différents scénarii pour agencer ces espaces.
Nous pourrons ensuite mesurer l’impact réel sur le flux de patientèle. Mon travail est de parvenir à modéliser le parcours d’un autre patient type qui n’est pas dans la COVID et d’aménager son parcours pour qu’il évite de croiser un patient atteint d’une maladie contagieuse comme la Covid-19. La modélisation des espaces offre une réponse pour assurer les réglementations sécuritaires post-covid.
Arnaud Have – Manager – organisation et management – santé et secteur public chez Sia Partners
Consultant depuis 8 ans en organisation et management, je suis actuellement Manager dans l’équipe Secteur public et santé de Sia Partners.
Arnaud accompagne les acteurs du secteur public, et plus spécifiquement de la santé et de la protection sociale, dans leur transformation numérique et organisationnelle.
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